Arts Of The Working Class Logo

ON FEM-CRUISING

Évidemment, ça va brûler – mais les flammes sont si jolies, dit le bourreau à la sorcière.

  • Dec 03 2019
  • Fette Sans
    is based in Berlin.
    She has a conceptual and interdisciplinary practice that includes the production of images, writing, performance, online gestures, filmmaking, discussions and installation. Concerned with social systems, representation and technology, she develops obsessive rituals, collaborations and speculative narratives to question these issues.
    Last year, Sans initiated the series of conversations in hotel rooms called Precarious Gossips. These aim at gathering voices coming from multiple backgrounds, that may be under-represented or generally more quiet, as to discuss important yet delicate topics.

Sur mon étagère se trouve un carnet contenant les noms de toutes les personnes que j’ai embrassées, et avec qui j’ai eu des rapports sexuels, parfois avec une date et un lieu annotés. La liste s’est allongée au fil des rencontres, précisant au fur et à mesure ce que baiser signifiait pour moi.

Comme la première fois où j’ai entrelacé mes doigts avec ceux d’un garçon à l’arrière d’une voiture qui me ramenait à la maison. Je l’avais rencontré quelques heures plus tôt par l’intermédiaire de ma tante qui devait s’occuper de moi ce soir-là, alors qu’elle allait à un concert avec sa meilleure amie : la mère de ce garçon. Il y eut aussi une fête d’anniversaire où j’avais été conviée au titre de cadeau pour une femme avec qui j’étais sortie quelques mois plus tôt. La femme en question avait ouvert sa porte d’entrée en annonçant de manière théâtrale la raison pour laquelle j’étais là. Puis, sans un mot, elle m’avait conduite à la salle de bain où je nous ai poussées dans un coin exigu pour la faire jouir avec ma main. En feuilletant les pages de ce journal, au moment où je songeais à écrire cet article, je réalise que chacune de ces histoires commence par un nom.

L’année dernière, en été, je contactai l’Hotel Zoo Berlin afin de leur demander de mettre à ma disposition une chambre pour une nuit. J’avais en tête une série de conversations nocturnes entre personnes qui ne se connaitraient pas sans avoir encore de nom.


Certaines pensées bouillonnaient en moi. Cette effervescence formait dans mon esprit une sorte de spirale où se mêlaient l’ambivalence et la clarté, la sensualité et la colère. Cette agitation, je la voulais gueularde, et pas seulement en moi-même. Je désirais regarder les orages s’abattre à l’intérieur de moi, comme observer les Perséides avec des ami.e.s très proches me refrappe la mémoire.

Trop de sujets avaient l’urgence d’un cri. L’hypermédiatisation des horreurs commises par Harvey Weinstein, et avant lui, Dominique Strauss-Kahn. Et derrière eux, une descendance immortelle de pouvoir et d’abus. Je voulais parler de la coercition dans le monde de l’art, du harcèlement dans le métro, de la surveillance en ligne – mais je voulais aussi m’appuyer sur des alliances sûres : l’intersectionnalité, la résistance ambiguë, les idéaux rabat-joie, la persévérances fem et le sexe qui cracherait dans l’œil de l’hégémonie patriarcale.

Je n’avais toujours pas de nom pour ça. Je savais juste que ces discussions devaient se dérouler dans une chambre d’hôtel luxueuse. Au fil des années, j’ai été à l’origine de nombreuses entreprises, certaines plus amoureuses que d’autres, simplement pour passer nuit dans un endroit que je ne pourrais probablement jamais payer.

Alors que je réfléchissais à ce qui servirait de fil conducteur pour la première soirée, je suis tombée sur une critique d’Alison Hugill dans MOMUS consacrée au Cruising Pavillon organisé pendant la 16e Biennale d’architecture de Venise.

Dans cet essai, Hugill remarque que malgré la résistance des curateurs – Pierre-Alexandre Mateos, Rasmus Myrup, Octave Perrault et Charles Teyssou – à admettre que les sites de cruising sont réservés aux hommes ou aux homosexuels, la plupart des œuvres ne présentent pas de femmes et de queers non masculins pratiquant activement le cruising. Hugill souligne également que les applications de type Grindr, Tinder ou FetLife pourraient présenter une équivalence avec des lieux de cruising dans leurs promesses de rencontres sexuelles aléatoires.

Comment alors apprendre à Google que lorsque je tape « femme cruising », je ne cherche pas un voyage en ferry de luxe pour tourisme de masse?

Le 30 septembre, j’invitais Cibelle Cavalli Bastos, Selin Davasse, Nat Marcus, Jay Owens et Maria Ines Plaza Lazo à se joindre à moi. Artistes, poètes, performeuses, universitaires, j’avais déjà rencontré plusieurs de ces personnes, d’autres je ne connaissais qu’en ligne. Nous étions allié.e.s autour d’une identité fem. Nous formions un corps d’une vingtaine dans cette chambre d’hôtel de diva - avec un lit immense, des fauteuils de velours vert foncé, une baignoire sur pieds, des dizaines d’oreillers et vue sur le « Kudamm’ ». 

Finalement, j’avais trouvé un nom pour ces soirées « Precarious Gossips ». En sirotant du thé et du vin, nous aurions ainsi toute une nuit pour discuter des raisons pour lesquelles certain.e.s d’entre nous s’abstenions, volontairement ou non, de pratiquer le cruising. Nous échangions des stratégies (en ligne ou non) qui nous ont semblées persuasives lors de nos dérives vers des rendez-vous moins normatifs.

Lorsque je pense à ces déviations, je pense à la la permission et à la saleté.

En français, « homme public » désigne le corps illustre du contrat social. Il peut s’agir d’un membre du gouvernement. Il pourrait s’agir de Brett Kavanaugh. En français, une « femme publique » désigne une pute, ou bien un film d’Andrzej Żuławski de 1984.

La mise en place de l’espace public a trouvé son langage par l’exclusion de certain.e.s de ses membres. Les enfants, les fous, les pervers et les femmes. Les corps non masculins ont longtemps été confinés dans des espaces propres, intérieurs ou privés – la maison, la buanderie, le salon et la chambre d’hôtel.

J’ai grandi dans une maison habitée par une famille hétéro, de classe moyenne, et blanche. La maison se trouvait dans un village au centre de la France. Pendant longtemps, j’ai été une enfant, et je demeure aujourd’hui un corps non masculin.

Je me demande si les Ménades m’auraient donné la première silhouette de femme pratiquant le cruising? On raconte qu’elles faisaient des miracles, après tout. Elles étaient également folles, ivres, et erraient bruyamment en tous lieux, sans être confinées aux chapitres domestiques.

Pendant longtemps, j’ai ressenti peu d’autonomie dans mon corps (parfois je n’en ressens toujours pas). Pendant longtemps, mon idée d’un corps autonome s’appelait Genet, LaBruce, Waters, ou Wojnarowicz. Ils avaient toujours l’air de batifoler dans un sauna de la taille d’un océan. Éventuellement, ma frustration s’est coagulée en une soupe de bites remuées par des Catherine interchangeables – ou toute une bande de femmes cis blanches privilégiées et institutionnellement débauchées qui se nomment Millet, Deneuve ou Breillat.

Comme si j’étais d’accord avec Hegel disant que les femmes sont l’éternelle ironie de la communauté. Au lieu de cela, je me permets de chanter sur les lèvres de Preciado : Les nouvelles féministes, nous n’avons pas besoin de mari parce que nous ne sommes pas des femmes.

Si le canon est pourri, trouve donc la terre pour faire pousser ton propre jardin. C’est une idée terriblement séduisante. Mais vu d’ici, soit la terre appartient aux hommes et est recouverte de béton, soit elle appartient aux hommes et brûle.

Un ami me demandait plus tôt : « Que ressens-tu lorsque tu n’arrives pas à dormir et qu’il y a cette agitation dans tes mollets et tes cuisses te disant de partir marcher dans la nuit ? »

L’un des récits les plus durables qui insiste pour que les corps non masculins restent à l’intérieur est celui disant que le monde extérieur est dangereux. C’est un récit qui perdure malgré ce que nous savons toutes être vrai, malgré le silence de ce récit serré autour de nos gorges. Nous crions que le monde extérieur n’est pas en sécurité, même si nous savons, en traçant les notes écrites sur notre propre corps, que la structure familiale est à l’origine de la grande majorité des violences sexuelles sur terre.

Si ta vie n’a pas de sens, pourquoi tu ne te masturbes pas ? dit un mème trouvé sur Twitter.

La question est sexuée mais le mème reste timide la-dessus.

Je répondrai quand même. Je veux de vraies possibilités d’action contre les attentes normatives de la société. Je veux une sexualité indépendante de la surveillance pharmaceutique de la pilule. Je ne veux sortir du couple comme négociation collective de l’humanité. Je veux la sécurité au sens d’attention, pas celle cultivée par la bourgeoisie. Je veux une promiscuité consensuelle tout en léchant la rosée du soir sur l’écran de son téléphone. Je veux des orgies incestueuses, je veux la tendresse de la pilosité, la rage du piratage hormonal, l’ennui des orgasmes anaux qui passent par ma joue et à travers le mur d’une autre gare désaffectée. Je veux que baiser fasse pleuvoir des coups de marteau sur l’idée que Google se fait des rapports sexuels, afin que les formules binaires pénis/vagin explosent pour toujours. Je veux que baiser se mette à dire caresser, sucer, lécher, pousser, lécher, embrasser, toucher, renifler, transpirer, sentir, éprouver, respirer. Je veux pouvoir faire confiance aux hommes cis blancs que je ne veux pas baiser. Je veux de l’intimité sans le fardeau d’un nom.

Je pourrais continuer, mais je citerai une réponse que Jesse Darling reçue, parmi d’autres, après avoir posé une question dans une story sur Instagram : l’essentiel se trouve dans les conversations, l’intimité, et la revanche.
.
.
.
~~ English version by Fette Sans ~~

There is a notebook on my shelf holding the names of all the people I’ve ever kissed, and with whom I’ve had sex, sometimes with a date and a location annotated. The list has grown more elaborate with each encounter, and with what I’ve meant by “fucking”.

Like the first time I intertwined my fingers with a boy, in the back of a car driving me home late at night. I met him a few hours earlier because my aunt, who had to look after me that evening, also wanted to go to a concert with her best friend: this boy’s mom. There was a birthday party that I’d been brought to, as a present for a woman I had made out with some months earlier. The woman opened her front door with a theatrical announcement of my function. Then—without a word—she walked me to her bathroom, where I shoved us in a cramped corner and made her come with my hand. Flipping through the pages of that journal, as I thought about writing this, I’ve realized that each of these stories starts with a name.

In the summer of last year, I approached Hotel Zoo Berlin about offering me a room for a night. I had an idea for an evening series conversations between strangers, but I did not have a name for it yet.

There were things I had been thinking. These thoughts boiled in me. The agitation kept my mind spiraling in and out of ambivalence. There was sensuality and anger. I wanted to be loud about it, and not only to myself. I wanted this to be loud, I desired to watch thunderstorms pounds inside me, as watching the Perseids with very close friends pounds in my memory.

Too many topics had the urgency of shouts. The heavily-mediated discharge of Harvey Weinstein’s horrors, and before him, Dominique Strauss-Kahn. And behind these, the immortal and unjudged lineage of power and its abuse. I wanted to talk about coercion in the art world, harassment in the U-Bahn, online surveillance - but I also wanted safe alliances: intersectionality, ambiguous resistance, killjoy ideals, femme perseverance, and sex that spat in the eye of patriarchal hegemony.

I did not have a name for this. I knew that it would have to take place in a luxurious hotel room. Over the years, I’d instigated many enterprises, certain endeavors, more amorous than others simply chasing a free night in a place I most likely would never afford.

As I was feeling for the thread of the first event, I came across a review by Alison Hugill in MOMUS, of the cruising pavilion presented during the 16th Architecture Biennale in Venice.

In this essay, she notes that despite the curators’ —Pierre-Alexandre Mateos, Rasmus Myrup, Octave Perrault, and Charles Teyssou— resistance to the notion that cruising sites are only for men or homosexuals, the artworks in the pavilion present few instances of women and non-male-identified queers actively making use of cruising spots. She also proposes that networked apps (e.g., Grindr, Tinder, or FetLife), have become equivalent to cruising spots in their promise of random sexual encounters.

Now, how do I make Google learn that when I type “femme cruising” I am not looking for overpriced mass-travel by ship?

On September 30th, my venting collaborators were Cibelle Cavalli Bastos, Selin Davasse, Nat Marcus, Jay Owens, and Maria Ines Plaza Lazo. They were artists, poets, academics, performers. Some of them I had met before, others I only knew online. They were femme-identified, they were allies. Along with another twenty guests, we met in a diva’s hotel room, with a view to the Kudamm, a king-size bed, dark green velvet armchairs, a clawfoot tub, and dozens of pillows.

I had found a name for the evening, Precarious Gossips. As we sipped tea and wine, we’d have an entire night to discuss the reasons some of us abstained, voluntarily or otherwise, from cruising. Shared some of the strategies (online and off) we found persuasive in our drift towards less normative rendezvous.

When I think about this, I think about permission and I think about dirt.


In French, a public man is the illustrious body of the social contract. He can be a governmental body, he could be Brett Kavanaugh. In French, a public woman is a whore, or else a film by Andrzej Żuławski from 1984.

The establishment of public space found its language as it escorted certain members of society away from it. The children, the demented, the perverted, and the women. Non-male bodies were, for a long time, confined to clean, interior, or private spaces— the home, the laundry house, the salon, and the hotel room.

I grew up in a white, hetero middle-class house. The house was inside a village in the middle of France. For a long time, I was a child, and still remain a non-male body.

Did the Mӕnads give me the first silhouette of a cruising femme? They were reported to have performed miracles, after all. They were also insane, intoxicated, and loudly roamed the earth, unconfined to domestic grounds.

 

For a long time I didn’t feel much autonomy in my body (sometimes I still don’t).

 

For a long time, my idea of an autonomous body was called Genet, LaBruce, Waters, or Wojnarowicz. They always seemed to be frolicking in a bathhouse the size of an ocean. Eventually, my frustration boiled it all down to a dick soup stirred by interchangeable Catherines—or else a bunch of institutionally debauched privileged, white cis-women named Millet, Deneuve, or Breillat.

As if I had been agreeing with Hegel that women are the eternal irony of the community. Instead of this, let me lip-sync to Preciado: the new feminists, we who do not need a husband because we are not women.

If the canon is rotten, find the dirt to grow your own garden. This is a terribly seductive idea. But seen from the dirt whereon I stand, the earth is either owned by men and covered in concrete, or is owned by men and burns.

 

A friend had asked me earlier, “What is the feeling you have when you cannot sleep and there is a restlessness in your calves and thighs and you must walk at night?”

 

One of the most enduring narratives that insists non-male bodies be kept inside is the one that says the world outside is not safe. This is a narrative that endures despite what we all know to be true, despite the silence created by this narrative wrapped across our mouths. We say that the outside world is not safe even as we know from notes recorded on our own bodies that the family structure breeds the great majority of sexual violence on earth.

"If your life is meaningless. Why don't you masturbate?" reads a meme I find on another friend’s Twitter feed.

The question is obviously gendered but the meme remains coy.

I’ll answer anyway. I want real possibilities of agency against social expectations. I want a free sexuality without the pharmaceutical surveillance of The Pill. I want out of coupling as humanity’s collective bargaining unit. I want safety in the sense of care, not safety as grown in the bourgeoisie. I want consensual promiscuity as I lick the evening dew off of the screen of her phone. I want incestuous orgies, I want the tenderness of pilosity, the rage of hormonal hacking, the ennui of anal orgasms passing through my cheek and into the wall of another disaffected train station. I want fucking to rain hammer blows onto Google’s idea of sexual intercourse, for the penis/vagina binary to split forever. I want fucking to mean stroking, sucking, licking, pushing, licking, kissing, touching, smelling, sweating, feeling, breathing. I want to put my trust in white-cis-men whom I don’t want to fuck. I want intimacy without the burden of a name.

 

I would go on, but instead I will only quote from a series of answers Jesse Darling received after asking a question in an Instagram Story: if there is a point to anything, it lies in conversations, intimacy, and revenge.

 

"On Fem-Cruising" appears in the print edition of AWC 8 

Cookies

+

To improve our website for you, please allow a cookie from Google Analytics to be set.

Basic cookies that are necessary for the correct function of the website are always set.

The cookie settings can be changed at any time on the Date Privacy page.